Pour se détendre un peu cet été, Nelly Mitja, passionnée de bandes dessinées, notamment de romans graphiques, nous propose de (re)découvrir l’Univers de la bande dessinée à travers une série de mini articles.
Histoire de la BD, genres, quelques chiffres, p’tites bio et tops 10 sont au programme de ce petit focus sur le 9ème art.
Cet été, c’est BD avec Nelly Mitja ! ”
Devenu un genre à part entière, le roman graphique demeure un sujet assez délicat pour ses aficionados, surtout s’il est question de son appartenance au monde de la BD ; c’est pourquoi nous nous attarderons ici surtout sur son style qui s’est fait remarquer et reconnaître dans les années 80 avec Maus d’Art Spiegelman.
Aussi, ce qu’il faut retenir du roman graphique, c’est avant tout la liberté totale qu’offre son format, au plutôt son non-format. Plus ambitieux que la bande dessinée traditionnelle, il n’impose aucune contrainte, que ce soit en termes d’agencement, de pagination ou de thématique. Ainsi, l’humour et la dérision, qui caractérisent le plus souvent la bande dessinée classique, font place à des sujets plus sérieux, plus personnels, des sujets plus sombres aussi, qui témoignent d’expériences et de ressentis intimes, ou encore d’événements historiques.
Plus ambitieux donc, le roman graphique, que nous retrouvons le plus souvent en noir et blanc, et qui est parfois qualifié de plus « noble » que la BD par ses irréductibles, est ainsi une manière de (re)découvrir le monde et l’Histoire sous un nouveau prisme. Will Eisner, Art Spiegelman, Joe Sacco, Marjane Satrapi, Guy Delisle ou encore Riad Sattouf sont parmi les plus grands illustrateurs de cette « nouvelle vague ». Nelly MITJA nous propose ici de découvrir une sélection des œuvres les plus marquantes.
10. Tchernobyl mon amour de Chantal Montellier (Acte Sud)
Extrait de Tchernobyl mon amour de Chantal Montellier
26 avril 1986, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine) explose, projetant dans l’atmosphère une quantité inconsidérable d’éléments radioactifs. Ce n’est que le 27 avril que la population commencera à être évacuée. Plusieurs centaines de milliers de pompiers et liquidateurs seront par la suite mobilisés pour tenter d’éteindre l’incendie et contenir la fusion du cœur du réacteur dans des conditions sanitaires et sécuritaires déplorables. Si les informations officielles communiquées se veulent rassurantes, la menace sanitaire est volontairement minimisée, en Ukraine et dans les autres pays d’Europe. Dans Tchernobyl mon amour, Chantal Montellier revientsur la gestion désastreuse de cet accident nucléaire majeur à travers le personnage de la journaliste Chris Wickler que nous suivons sur les lieux du drame vingt ans plus tard. Bien que le choix des couleurs, parfois trop vif et invasif, puisse être discuté, ce roman graphique est particulièrement bien documenté et toujours d’actualité.
09. Zahra’s paradise d’Amir et Khalil (Casterman)
2009. Iran. Le conservateur Mahmoud Ahmadinejad est réélu et le pouvoir est accusé de fraude électorale. La révolution verte est en marche. Des milliers de manifestants se rassemblent à Téhéran mais aussi dans d’autres grandes villes du pays en soutien au candidat de l’opposition, Mir-Hossein Mousavi. Medhi, jeune manifestant, a disparu dans les geôles de la République islamique. Mais c’est sans compter sur la détermination d’une mère et d’un frère qui se battent pour la vérité et nous dévoilent au cours de l’œuvre toute la mécanique de ce régime iranien. Bien que fictif, ce roman graphique, qui fut d’abord partagé sur internet, s’inspire de nombreux témoignages. D’autre part, outre les graphismes et l’histoire en elle-même, nous apprécions tout particulièrement le glossaire et le postface de l’œuvre qui nous permettent de mieux appréhender cette période de l’histoire de l’Iran.
08. L’arabe du futur de Riad Sattouf (Allary Éditions)
« Je m’appelle Riad. En 1980, j’avais 2 ans et j’étais un homme parfait ». C’est ainsi que débute la série en 5 tomes de L’arabe du futur deRiad Sattouf (Les pauvres aventures de Jérémie, Pascal Brutal, La vie secrète des jeunes…) qui nous relate ici sa jeunesse et son adolescence (1978 – 1994) balloté entre la France et le monde arabe. Né à Paris d’un père syrien docteur en histoire et fasciné par le panarabisme, et d’une mère bretonne, le petit Riad passe la première partie de son enfance dans la Libye de Kadhafi et la Syrie d’Hafez al-Assad, deux pays alors empreints par l’idéologie du socialisme arabe. A ce titre, les trois premiers tomes de la série retracent avec humour et légèreté les relations avec la famille de son père dans le petit village de Ter Maaleh, son parcours d’écolier et sa circoncision. Le quatrième tome est quant à lui plus focus sur son adolescence, qu’il passera au Cap Fréhel avec sa mère et ses frères, et son tiraillement entre ses deux cultures. Sattouf nous y révèle également un lourd secret de famille qu’il qualifie de « coup d’état », l’enlèvement de son plus jeune frère, Fadi, par son père qui se réfugie alors en Syrie. Le cinquième et dernier tome, paru en 2020, nous partage pour sa part les désillusions de l’adolescence du jeune Sattouf et du modèle parental avec une mère désemparée et anxiogène qui se démène pour récupérer son benjamin. Le prochain tome est attendu pour 2021 / 2022.
07. Persepolis de Marjane Satrapi (L’Association)
En 1979, Marjane, 10 ans, est une petite fille insouciante qui grandit entourée de sa famille à Téhéran. Mais la révolution islamique qui provoque la chute du Shah d’Iran et propulse l’ayatollah Khomeini au pouvoir va bouleverser sa vie et celle des siens. Bande dessinée autobiographique, Persepolis nous entraine dans les pérégrinations de la jeune Marjane Satrapi et de son passage à l’âge adulte sur un fond noir et blanc particulièrement tranché. C’est aussi l’occasion de mieux appréhender la révolution iranienne qui est vécue dans ce roman graphique de l’intérieur. La bande dessinée a fait l’objet d’une adaptation cinématographique éponyme sortie en 2007 et récompensée à plusieurs reprises.
06. Aya de Yopougon de Marguerite Abouet et Clément Oubrerie (Gallimard)
Années soixante-dix. Nous sommes à Yopougon, Yop City pour les intimes, quartier populaire d’Abidjan (Côte d’Ivoire). Aya, dix-neuf ans, et ses deux amies, Adjoua et Bintou, rêvent d’avenir. Déterminée et d’une beauté rare, Aya souhaite devenir médecin. Adjoua et Bintou, plus délurées et véritables « ambianceuses », sont quant à elles plus enclines aux sorties au maquis du coin, le « ça va chauffer », en quête d’un mari fortuné. Dans ce roman graphique, Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, nous entraînent dans le quotidien de ce quartier populaire et de ses habitants où chacun fait face à son destin. Aya de Yopougonse décline en 6 tomes.Le petit plus de la série, c’est « le Bonus Ivoirien » qui nous partage entre autres son petit lexique des expressions ivoiriennes et quelques recettes de cuisine du pays pour une immersion totale. L’œuvre a été adaptée dans un long métrage d’animation qui est sorti en 2013.
05. Blankets, manteau de neige de Craig Thompson (Casterman)
Blankets, manteau de neige est une bande dessinée autobiographique. Né en 1975 à Traverse City dans le Michigan, Craig Thompson a grandi dans une petite ferme du Wisconsin avec ses parents, son frère et sa sœur. Chrétiens fondamentalistes, ces derniers lui donneront une éducation très stricte où la religion est omniprésente. Alors que son entourage, très représentatif d’une Amérique profonde puritaine, le pousse vers un avenir religieux, le jeune Craig préfère se réfugier dans le dessin. C’est lors d’une classe de neige paroissiale qu’il va voir son cœur chamboulé et sa foi chrétienne encore plus ébranlée, avec la rencontre de Raina, son premier amour. Aussi, Blankets, manteau de neige, c’est également l’histoire d’une rencontre entre deux adolescents et le récit de la mécanique du sentiment amoureux et de ses promesses, dessinés avec sensibilité et finesse.
04. Goražde de Joe Sacco (Rackham)
Petite ville de Bosnie-Herzégovine située dans le canton du Podrinje bosnien, Goražde était, de 1992 à 1995, une des trois enclaves bosniaques entourées et assiégées par l’armée de la République serbe de Bosnie, ce qui en faisait le symbole de la résistance musulmane. Identifiée en 1993 comme « espace de sûreté » par les Nations Unies, une offensive serbe est néanmoins lancée entre le 30 mars et le 23 avril 1994. Alors que la grande majorité des casques bleus quittent la ville, 694 soldats et civils sont tués et 1 917 blessés sont déplorés avant même la fin de l’attaque. Fruit d’un travail de terrain de plusieurs mois (1995 – 1996), Goražde rassemble les témoignages souvent insoutenables des survivants de cette ville. Leurs souffrances et la précarité de leurs conditions de vie y sont dessinées avec un réalisme saisissant. Véritable BD-Reportage, Goražde peut être considéré comme d’utilité publique, comme beaucoup des œuvres de Joe Sacco.
03. Maus d’Art Spiegelman (Flammarion)
Récit autobiographique d’Art Spiegelman, Maus retrace une période très particulière de la vie du père de l’auteur, Vladek, juif polonais déporté à Auschwitz en 1944. Aussi, ce récit qui porte sur la transmission de la Shoah, a la particularité d’« animalifier » les différents personnages en fonction de leurs origines. Les juifs sont représentés par des souris, les nazis par des chats, les Polonais par des porcs et les Américains par des chiens. L’œuvre, qui se compose en deux tomes (Maus I : Mon père saigne l’histoire et Maus II : Et c’est là que mes ennuis ont commencé) a reçu à deux reprises le prix du meilleur album étranger au Festival d’Angoulême (1988 et 1993). Le Grand Prix sera pour sa part remis à Art Spiegelman en 2011. L’œuvre a également reçu en 1992 le prix Pulitzer spécial, une première pour une bande dessinée. Maus est l’un des premiers romans graphiques reconnus du genre.
02. L’ascension du Haut Mal de David B. (L’Association)
Au Moyen Âge, le Haut Mal désignait l’épilepsie. Aussi, L’Ascension du Haut Mal nous transporte au sein d’une famille dont le fils aîné est atteint de ce trouble. C’est sous le regard et le crayon de son petit frère, Fafou (David B.), que nous accompagnons cette famille en proie aux crises de Jean-Christophe et aux conseils plus ou moins avisés de médecins, spécialistes et gourous en tout genre. Le graphisme de David B. y est ici saisissant. Les aplats noirs contribuent particulièrement à renforcer le sentiment de détresse qui émane de cette situation et les traits se font plus acérés et abstraits au fur et à mesure de l’évolution de la maladie.
01. Une histoire populaire de l’empire américain de Howard Zinn, Mike Konopacki et Paul Buhle (Vertige Graphic)
Extrait d’Une histoire populaire de l’empire américain de Howard Zinn, Mike Konopacki et Paul Buhle
Une histoire populaire de l’empire américain est un roman graphique adapté du livre éponyme d’Howard Zinn (1980), historien, politologue, professeur à l’université de Boston et auteur d’une vingtaine d’ouvrages où les thématiques du droit civique, du monde ouvrier, de la désobéissance civile et de la guerre sont traitées. Bien que la bande dessinée se veuille plus synthétique que le livre, ses graphismes et son scénario, ponctués de documents visuels (Photos, coupures de presse…), nous plongent littéralement dans une histoire des Etats-Unis sans concession. Du massacre de Wounded Knee (1890) à la guerre contre le terrorisme menée par George W. Bush après les attentats du 11 septembre 2001, Howard Zinn, Mike Konopacki et Paul Buhle nous font (re)découvrir beaucoup d’autres pans de l’histoire de ce pays, tout aussi troubles, comme l’invasion des Philippines, la guerre secrète en Amérique centrale ou encore le scandale de l’irangate. Si l’Histoire est souvent complexe, le rythme adopté dans cette adaptation en bande dessinée d’Une histoire populaire de l’empire américain nous permet de mieux décrypter et appréhender la mécanique géopolitique des Etats-Unis.
Pour aller plus loin et retrouver les articles de Nelly Mitja sur l’univers de la BD : Auteur : Nelly MITJA